Me voilà en bonne citoyenne qui évite de prendre la voiture 1. pour éviter
les embouteillages donc en participant à réduire les rues bouchonnées 2. pour
marcher et donc en participant à rendre la ville plus écolo. J'ai la chance de
travailler à près de 250 mètres de chez moi ce qui rend la marche encore plus
faisable.
Durant ces 6 minutes de marche, tous mes sens sont réveillés. Je vous
invite à partager avec moi ce voyage.
En sortant de chez moi, il ne faut surtout pas que je sois distraite. Si
c'est le cas, j'ai droit à une douche matinale des voisins qui trouvent du
plaisir à nettoyer leurs balcons le matin et donc à se débarrasser de l'eau
sale coulante du haut. Je me trouve contrainte de faire des zigzags sur un
pseudo-trottoir pour éviter une douche d'eau noire et malodorante.
Marchant quelques pas, je rencontre une famille de chats. Avant, je ne
voyais qu'un chat noir somnolant. Aujourd'hui et depuis quelques semaines
seulement, il est accompagné par d'autres chatons. Ahh c'était une femelle et
la famille s'agrandit.
Je décide donc d'éviter de déranger le bien-être de ces chats qui occupent
le trottoir et traverse la rue. De l'autre côté m'accueille une étendue
d'ordures dont une bouteille en plastique contenant un liquide orangeâtre, je
n'ose même pas deviner ce que c'est. Le pas enchainé comme un militaire, je
prends la rue perpendiculaire et voilà qu’une odeur d'urine insupportable
m'envahit et me perce les narines. Je décide de passer de l’autre coté mais je
traverse au mauvais endroit. Un autre immeuble avec de l'eau sale coulante.
Aieee !!!
Soulagée que bientôt je vais prendre la grande avenue et que je pourrais
respirer de l'air plus clean, je trouve au tournant des crottes de chien. Réflexe
bien développé, j'évite de marcher dessus.
A ce moment, je sais que ma route sera plus facile. Je n'aurais plus à
prendre de ruelle. Cette avenue mène directement à mon bureau. Je marche
droite, avec certitude mais en regardant le sol pour éviter le regard gênant des
passants. Plongée dans mes pensées sur la ville et son état, je me fais prendre
le bracelet élastique par un clou se trouvant dans la boite arrière d’une moto,
stationnée sur le trottoir, ce qui m'oblige à faire marche-arrière pour sauver
mon bracelet.
Je continue et hop, des travaux au salon de coiffure occupant tout le
trottoir. Je traverse de l'autre côté, un mendiant m'attend... Une liste de
douaa/prières. J'accélère la cadence et continue. J'évite le marchand de fruits
occupant le centre du trottoir et hop je traverse encore. Une dame assise
devant la boulangerie me voit de loin et commence avec ses prières. Cette dame
a grandi devant cette boulangerie et maman lui avait déjà proposé de travailler
mais elle avait refusé.
A ma gauche un libraire, enfin l'odeur de la civilisation et de
l'avancement, pas le temps de trainer, je continue mon chemin. Un monsieur assis
sur un carton, sur le trottoir, tenant son journal est là. Après toutes ces
années, je ne sais pas ce qu'il fait là-bas, ce qu'il vend etc. Un jeune délinquant
un torchant à la main et le reniflant me demande l’aumône.
Mon téléphone portable sonne. Je l'ignore et je traverse. Deux gros bacs à
ordures m'attendent avec une étendue de déchets. Je perçois un homme perché tête
dans la porte du bac. On ne voit que la moitié de son corps. Je dévie le regard
et traverse.
Pendant ce temps, un accrochage entre
voitures donne lieu à un concert de klaxons répétitifs me perçant le tympan des
oreilles.
Dans ce chaos, un dragueur commente
mes formes et mon teint de peau.
J’accélère la cadence. Enfin, plus que
quelques pas pour être au bureau.
Je passe par un marchand de cigarettes ambulant, une épicerie bondée et
dont l'extérieur ressemble à une porcherie, une mère avec des bébés sur le sol,
un chat mort jeté avec des sacs à ordures, un café occupant tout le trottoir
avec ses tables et chaises et enfin, j'arrive à mon bureau.
Je m'arrête. Le cœur battant. J'essaie de retrouver mes clefs, je regarde à
droite et à gauche si je suis suivie. J'entends le bruit des clefs mais je ne
les retrouve pas. Enfoncées dans mon sac, et regardant la vitre miroir de la
porte, je prends enfin possession de mes clefs et essaie de retrouver la bonne
avant d’ouvrir et de refermer après moi au plus vite.
Ce chemin je l'empreinte au moins quatre fois par jour. Et après tant d'années,
je n'ai toujours pas la confiance et sérénité d'être dans mon quartier et dans
mon voisinage. J'ai oublié de dire que j'habitais Gauthier, un des quartiers
les plus prisés de Casablanca, en plein cœur de la ville.
Ce sentiment d'insécurité et de malaise, je ne suis pas la seule à l'avoir.
J'ai essayé plusieurs fois d'adopter des méthodes pour rendre mon chemin plus agréable
: visualisation, affirmation, positivisme... Il en faut beaucoup pour feindre,
ne pas voir la réalité. Même avec les lunettes de soleil et la tête baissée, je
suis quand même provoquée par les odeurs et sons insupportables.
Je pleure Casablanca où je suis née et ai grandi. Je pleure Casablanca,
terre de mes parents. Je pleure Casablanca ou mon grand-père a risqué sa vie
pour notre indépendance. Je pleure Casablanca, ville choisie pour la naissance
de mon fils.
Je ne te reconnais plus Casablanca, Je ne te reconnais plus.
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